Gorbatchev n'était pas sur la même longueur d'onde que le Président Vladimir Poutine - DWB-NET


Gorbatchev n'était pas sur la même longueur d'onde que le Président Vladimir Poutine

Gorbatchev contre Vladimir Poutine

Gorbatchev n'était pas sur la même longueur d'onde que le Président Vladimir Poutine

Source : MSN -- (Didi Web-Site Maker) Date : 02-09-2022 21:17:08 -- N°: 16 -- Lu : 53172 fois -- envoyer à un ami

Mikhaïl Gorbatchev

image -- Gorbatchev n'était pas sur la même longueur d'onde que le Président Vladimir Poutine

© afp.com/JOSEPH EID

Mikhaïl Gorbatchev est mort mardi à l'âge de 91 ans. Il y a onze ans, dans L'Express, il s'inquiétait du risque de dérive autoritaire de Vladimir Poutine. Une mise en garde visionnaire.

Sa voix était encore très écoutée, d'autant qu'elle se faisait de plus en plus critique. Mikhaïl Gorbatchev, décédé le 30 août 2022, avait vécu, en tant qu'acteur principal, la transformation de l'URSS en Russie, avant d'être brutalement évincé. C'est dire si son jugement sur Vladimir Poutine, sur les oligarques, sur la corruption et les atteintes aux droits de l'homme dans son pays conservait une valeur toute particulière en ces temps troublés. Retiré des affaires publiques, il gardait sa liberté de parole ainsi qu'un regard aigu sur ce qui se passe au coeur de la nomenklatura moscovite. Un constat lucide, implacable, mais qui n'épargnait pas les Occidentaux. Des luttes de pouvoir à l'intérieur du Kremlin aux révolutions arabes, Gorbatchev était toujours fièrement russe, tout en se montrant aussi indépendant que pertinent dans son observation du monde. Pour L'Express, il avait accepté en 2011 de répondre aux grandes questions de l'heure.

Les manifestations qui ont suivi les élections législatives du 4 décembre dernier n'ont pas été réprimées par le pouvoir. La Russie prend-elle le chemin d'une "dictature douce" ?

La pression "administrative" a été redoutable : le régime a envoyé une lettre-circulaire aux instituteurs, il a fait pression sur des hommes d'affaires, acheté les voix de nombreux retraités, bref, toutes les ressources ont été mobilisées pour assurer la victoire de Russie unie, le parti de Poutine. C'est préoccupant, vraiment. Poutine a du travail s'il veut changer les pratiques électorales !

Que diriez-vous au Kremlin, à Poutine et à Medvedev, après ce scrutin controversé et les sérieux incidents qui ont suivi ?

Le pouvoir doit reconnaître qu'il y a eu de nombreuses fraudes, trop d'"arrangements", et que les résultats annoncés ne reflètent pas la volonté des électeurs. De plus en plus de Russes sont convaincus que ces résultats ne sont pas honnêtes ! Ignorer l'opinion discrédite le régime et déstabilise le pays. Rester sourd renforce le mécontentement... Je suis persuadé que le Premier ministre et le président doivent reprendre l'initiative pour rester dans le cadre d'un processus démocratique. Nos dirigeants seront bientôt confrontés à des décisions difficiles. Ils devront procéder à des changements importants et inévitables, mais ils ne peuvent le faire sans la participation des citoyens, ou contre leur volonté. Ces mensonges électoraux tuent la confiance à l'égard du pouvoir. C'est pourquoi il est nécessaire d'annuler les résultats et d'annoncer un nouveau scrutin.

Poutine serait-il un nouveau Brejnev ?

Mais non ! Pour l'instant, cette comparaison est infondée. Cependant, in fine, si Poutine reste trop longtemps au pouvoir, il pourrait se transformer en une sorte de Brejnev !

Vous plaisantez... Il aurait peut-être aimé le devenir, mais je pense qu'on n'en arrivera pas là. Les passions bouillonnent en Russie, et on peut y entendre toutes sortes de choses. Mais un tsar ? Non ! En tout cas, on peut se réjouir de ces débats passionnés dans la société : il y a eu des époques, comme sous Staline, où personne n'osait exprimer son avis. Mais, aujourd'hui, la société n'est pas prête à renoncer aux acquis démocratiques. Elle va résister.

Comment jugez-vous ce jeu de chaises musicales entre Vladimir Poutine et Dmitri Medvedev ?

Puisque le pays a dû accepter d'emblée l'idée de ce tandem, ce n'est pas la peine de s'en plaindre aujourd'hui. Formellement, les règles démocratiques n'ont pas été violées. Mais, en fait, il s'agit d'une tentative de conserver le pouvoir. Or, on ne peut obtenir de changements (et les gens en réclament !) sans changer les dirigeants. On ne peut non plus faciliter des évolutions sans injecter des forces nouvelles dans la politique. Aujourd'hui, les postes s'achètent, tout simplement ! C'est la pire variante de la démocratie.

Si Poutine est élu en mars 2012, comme c'est probable, il pourrait se représenter et rester au pouvoir jusqu'en 2024. Est-ce là l'avenir de la Russie ?

Au cours de son premier mandat, Poutine a accumulé des succès politiques : il a préservé l'unité de la Russie et donné de l'oxygène au peuple. Par conséquent, on ne peut pas dire que c'est un politique sans avenir. Mais, dans les six prochaines années, le pays doit se démocratiser et se moderniser ; si Poutine n'arrive pas à la conduire sur cette voie, les problèmes seront tels qu'on ne pourra plus les résoudre paisiblement. On verra s'il est capable de changer ses méthodes, d'assimiler les leçons du passé récent.

Détourne-t-il l'esprit de la Constitution en se présentant une troisième fois ?

Il n'en a pas violé la lettre, mais l'esprit, comme vous dites. C'est une bonne formule. Moi, j'avais déclaré, il y a quelques mois déjà, qu'il serait mieux d'avoir un nouveau président à la tête du pays. Cela ouvrirait la voie à des acteurs qui seraient porteurs du changement. Les membres de l'élite gouvernante sont trop liés entre eux, y compris en ce qui concerne leurs patrimoines. Il leur est difficile de procéder à de vraies réformes. Quand on lit dans la presse d'opposition des articles sur la corruption qui règne dans les cercles supérieurs du pouvoir, on reste bouche bée ! En théorie, Poutine pourrait initier le changement, mais j'y crois peu.

Diriez-vous qu'il y a une lassitude en Russie vis-à-vis de Poutine au sein de la majorité de la population ?

Non, il ne s'agit pas de cela. Le peuple a peur de perdre ce minimum vital et cette stabilité que lui a procurés l'ère Poutine. Néanmoins, les gens en viennent peu à peu à l'idée d'un nécessaire renouveau.

Si rien ne change d'ici à l'élection de mars 2012, que conseilleriez-vous aux Russes : d'aller voter ou de refuser de cautionner une caricature de démocratie ?

Moi, j'irai voter. Et j'appellerai nos citoyens à suivre mon exemple. Car le refus de voter contribue à des abus abominables lors du décompte des voix. Il faut contrôler les élections sans craindre les autorités. Les autorités font du chantage, sur le thème : "Sans Poutine, il n'y aura pas d'allocations sociales, etc." Mais ce n'est pas vrai !

Voter pour qui ? Qui est votre candidat à la présidentielle ?

Hélas ! Le choix n'est pas bien grand...

Récemment, Poutine vous a accusé d'avoir renoncé trop facilement à l'URSS, en 1991, d'avoir abandonné le pouvoir.

Poutine doit essayer de comprendre réellement ce qui s'est passé. Il se peut qu'il arrive alors à des conclusions très différentes. En tout cas, je n'accepte pas ses accusations. Elles sont sans fondement.

Dans un entretien, Poutine a dit que l'URSS, c'était la "Grande Russie". Etes-vous d'accord ?

 

Vladimir Poutine rend hommage à Mikhaïl Gorbatchev

Oui. J'ai dit cent fois la même chose. Mais cette Grande Russie aurait dû avoir une organisation intérieure qui prenne en compte toutes les particularités nationales, qui permette à cet immense monde multiethnique de fonctionner avec succès, qui permette de respecter les principes de la démocratie et de la liberté. Et c'était possible. Nous oeuvrions dans ce sens. En 1991, le nouveau traité de l'Union était prêt : il donnait le droit aux Républiques (comme c'était d'ailleurs indiqué dans la Constitution) d'être libres et souveraines au sein d'une confédération. Hélas ! le putsch d'août 1991 a empêché la signature de ce traité, avec les conséquences que l'on sait.

Pour Poutine, la disparition de l'URSS a été "la plus grande catastrophe géopolitique du xxe siècle". Regrettez-vous l'Union soviétique ?

Oui ! Je l'ai déjà dit à tant de reprises. Et les sondages montrent que je ne suis pas le seul : une très grande partie de mes concitoyens sont d'accord avec moi. Mais quand on leur pose la question : "Souhaitez-vous la restauration de l'URSS ?", seuls 9 % se prononcent pour... Qu'est-ce que cela veut dire ? Les anciens soviétiques vivent désormais dans des Etats indépendants, et, même si l'absence d'un espace économique commun rend leurs vies plus dures, ils apprécient la souveraineté de leurs pays respectifs, leurs libertés et leurs droits nouvellement acquis. C'est important à comprendre. Par conséquent, je soutiens en premier lieu une intégration économique dans l'espace postsoviétique.

Pour une intégration réussie, l'Ukraine est très importante. Que pensez-vous du président Ianoukovitch ? Croyez-vous possible un nouvel espace économique ?

Lorsque Koutchma était président, le rapprochement entre la Russie et l'Ukraine avait commencé, et plus de 70 lois communes avaient été adoptées. Avec le président Iouchtchenko, ce processus a été gelé. Quant à Ianoukovitch, il m'étonne. Lorsqu'il se battait pour le pouvoir, il parlait d'une union plus étroite avec la Russie. Mais, dès qu'il est devenu président - et les gens ont voté pour lui parce qu'ils veulent renforcer les liens avec la Russie -, son discours a changé. Cependant, même sans l'Ukraine, un espace économique commun est en train de se former, entre la Russie, la Biélorussie et le Kazakhstan. D'autres Etats souhaitent s'y joindre à une étape ultérieure. C'est la bonne voie.

On va célébrer fin décembre les 20 ans de l'éclatement de l'URSS. Avec le recul, quel a été votre principal échec ?

J'ai tardé à accélérer la démocratisation de l'Union soviétique, tardé à réformer le Parti communiste, qui a pris la tête du combat contre la perestroïka. Nous avions décidé, avec les dirigeants des Républiques, de transformer l'URSS en une communauté d'Etats souverains, et c'est ce qu'il aurait fallu faire, mais nous avons pris du retard dans cette refonte de l'URSS.

Et quel a été votre principal succès ? Que restera-t-il de l'ère Gorbatchev au regard de l'Histoire ?

En URSS, nous avons déclenché la démocratisation : la liberté de culte, la liberté de parole, le pluralisme politique, la liberté d'entreprise menant graduellement à l'économie de marché. C'est déjà beaucoup, non ? Sur la scène internationale, nous avons fait reculer la menace atomique en réduisant les armements nucléaires.

Vladimir Poutine s'inquiète de l'installation d'un système antimissiles en Europe. Il a durci sa position et affirme aux Américains qu'il pourrait revenir sur ses engagements en matière de désarmement. S'agit-il d'une inquiétude réelle ou d'un argument de campagne électorale ?

Il y a un peu des deux. En tout cas, c'est un bon moyen de pousser son partenaire à une discussion plus profonde et au compromis. Il ne se passe rien de grave. De mon temps, j'ai eu des situations de ce genre : un jour, le président américain m'a averti qu'il était en campagne électorale et pouvait dire des choses auxquelles il ne fallait pas réagir, car il ne s'agissait en rien d'un changement réel de sa politique étrangère.

Pensez-vous que la démocratie soit possible en Russie ?

Si j'avais la conviction que le peuple russe était incapable de vivre dans une démocratie, je n'aurais jamais lancé la perestroïka. J'aurais gouverné selon les règles anciennes et serais entré en compétition avec Kadhafi !

Est-ce qu'on connaîtra un jour la vérité sur l'assassinat d'Anna Politkovskaïa ?

Je l'espère. Poutine a déclaré que Politkovskaïa n'était pas une personnalité importante et n'avait pas beaucoup de mérite. Je suis totalement en désaccord avec lui.

Comment se fait-il que la justice russe n'ait pas trouvé les commanditaires ?

Cela signifie que le régime russe est faible, qu'il n'avait peut-être pas intérêt à chercher. En tout cas, quand la vérité sera connue, elle risque d'être très désagréable.

L 'un des événements majeurs de cette année, c'est le printemps arabe. Comment évaluez-vous le risque islamiste ?

S'il se produit un tournant négatif, il sera lié non pas à la démocratie, mais au manque de démocratie. Ces pays avaient commencé une transformation progressiste, démocratique, de leurs sociétés, mais ils n'ont pas poursuivi dans cette voie et se sont mués en régimes dictatoriaux dirigés par des clans. Je suis très heureux que les peuples de plusieurs pays arabes aient exigé publiquement le respect de leurs droits. Et que toutes les tentatives d'écarter le peuple et de continuer les magouilles dans les intérêts d'un cercle très restreint de personnes aient échoué. En ce qui concerne la Syrie, j'espère qu'on évitera une guerre. Une action militaire "musclée" ne résoudra pas le problème. La guerre est toujours un échec de la politique.

L'intervention de l'Otan était-elle une bonne décision ?

La répression terrible des manifestants par le colonel Kadhafi a rendu les frappes militaires nécessaires. C'était un cas de force majeure. Mais je ne recommanderais pas cela comme une solution efficace pour l'avenir. A la suite des bombardements touchant les populations civiles et des combats, il y a eu des destructions massives et de nombreuses victimes en Libye. Il faut toujours privilégier les solutions politiques. On attend de l'Europe qu'elle agisse par la voie démocratique et qu'elle utilise des leviers politiques et économiques, qu'elle adopte des sanctions, par exemple.

En Syrie, on déplore plus de 4 000 morts. Or l'opposition des Russes et des Chinois empêche le vote de sanctions contre Damas...

La situation y est terrible et on ne peut que regretter les massacres. Mais je crois qu'il y a plus de sagesse et de prudence dans les propositions russes et chinoises. Il ne s'agit pas de justifier les agissements du régime syrien, mais de trouver une solution négociée. Le meilleur instrument pour cela est le Conseil de sécurité de l'ONU : il peut décider des sanctions, certes, mais il a aussi autorité pour négocier avec Damas.

Le président syrien doit-il partir ?

Il ne s'agit pas de chasser Bachar el-Assad ou d'écraser le régime syrien. De telles démarches nécessiteraient une nouvelle intervention de l'Otan. Cela suffit ! Soyons prudents.

Le printemps arabe peut-il faire tache d'huile en Russie ?

Il est très important que nous tirions des leçons de ce qui se passe dans le monde arabe. Mais nous avons suffisamment de sources d'inspiration à l'intérieur de la Russie. J'ai du mal à imaginer qu'il puisse y avoir une révolte de type syrien ou libyen en Russie.

L'année 2012 est celle de toutes les incertitudes, avec des élections présidentielles aux Etats-Unis, en France, au Mexique, en Russie, ainsi que l'arrivée d'une nouvelle équipe en Chine. Une année cruciale pour l'Europe. Comment voyez-vous l'avenir dans un monde si troublé ?

Je ne panique pas ! Et je souhaite que personne ne panique ! Ce qui se passe n'est pas si inquiétant. C'est seulement une phase de transition difficile qui accompagne le passage du "monde ancien" vers le nouveau monde, global et interconnecté. Les vieilles murailles s'effondrent, mais il s'agit in fine d'un processus salutaire.

Mikhaïl Gorbatchev en 10 dates

2 mars 1931  Naissance à Privolnoïe.

1952  Adhère au PCUS.

1971  Elu au Comité central du PCUS, à 40 ans.

1980  Elu au Politburo, organe suprême.

1985  Secrétaire général du Politburo, il instaure la perestroïka.

1987  Homme de l'année dans Time.

1988  Il décide le retrait des troupes soviétiques d'Afghanistan.

1990  Prix Nobel de la paix.

Août 1991  Coup d'Etat des conservateurs. Boris Eltsine en est le bénéficiaire.

25 décembre 1991  Il démissionne de la présidence de l'URSS.


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